Portrait du libraire Berrond Thomas

Portrait réalisé le 24/07/2019

Portrait de Thomas - Librairie des Bauges

La Librairie des Bauges est située à Albertville, au cœur des quatre vallées en Savoie. Une longue et riche histoire que cette librairie, créée en 1953 et qui a traversé les époques et les propriétaires jusqu'à sa reprise en 2017 par « un enfant du pays », Thomas Berrond.

Entre volonté de maintenir cette « institution » locale et de lui insuffler un nouveau souffle, Thomas Berrond et son équipe veulent défendre l'idée d'une librairie comme lieu convivial et de rencontres, prescripteur de vie culturelle, qui rassemble les gens tout en leur offrant de nouvelles perspectives.

Autant dire un défi dans une ville de taille moyenne telle qu'Albertville, que l'équipe de la Librairie des Bauges est prête à relever !

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Librairie des Bauges

location_on 104 rue de la République - 73 200 Albertville

phone 04 79 32 00 91

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Rencontre avec Thomas Berrond

Que pouvez-vous nous dire de votre parcours professionnel et de vos motivations à devenir libraire ?

J'ai à la base une formation de conducteur de travaux pour diriger de gros chantiers de construction de centrales nucléaires en Chine notamment. En 2004, j'ai préféré abandonner ce créneau pour me diriger plutôt vers l'enseignement des sciences et de la technologie, à Marseille au début, puis en périphérie parisienne jusqu'en 2014. J'ai envisagé un temps devenir directeur d'établissement scolaire, mais ne me reconnaissant pas vraiment sous cette casquette, j'ai préféré arrêter. Il se trouve que je travaillais depuis déjà de nombreuses années, pendant mes vacances notamment, dans un organisme à Albertville (je suis originaire de Grenoble) qui organisait des voyages d'adolescents à l'étranger ; j'y avais des fonctions administratives, de gestion ainsi que de direction. En 2016, je fais la rencontre de Kurt Nagel, gérant de la Librairie des Bauges, et qui souhaite prendre sa retraite. C'est une vraie rencontre humaine, il me fait part alors de sa volonté de céder la librairie. Ma mère était libraire les six dernières années de sa vie professionnelle, donc je savais ce que cela induisait. J'avoue que je n'avais pas du tout envie de faire ce métier, et encore moins d'être commerçant, même si l'environnement du livre me passionnait. Je n'étais pas prêt à passer le cap jusqu'à cette rencontre avec Kurt. J'ai passé quelques mois avec lui en phase « d'observation » pour comprendre le fonctionnement de sa librairie. Je souhaitais m'approprier le lieu avant d'envisager toute reprise.

Je voulais revenir à quelque chose qui résonne pour moi et d'autant plus sur mon territoire. Ayant par ailleurs engrangé au fil de ma carrière professionnelle assez d'expérience en management d'entreprise, je me suis donc lancé.

Présentez-nous la Librairie des Bauges.

Thomas Berrond : En 1953, la famille Garin, qui avait déjà une librairie à Chambéry, reprend cette boutique qui vendait essentiellement des articles de papeterie depuis la Première Guerre Mondiale. Dans les années 70 ils développent fortement l'activité papetière et fournissent toutes les écoles de la région. Jusque dans les années 90 ça marche très fort, puis l'activité s'effondre face à la concurrence notamment. Ils se restructurent en arrêtant alors la papeterie et ne gardant qu'un petit corner, ils continuent leur activité de libraire qu'ils ont développée depuis les années 80, et ils accueillent France Loisirs qui à l'époque (début des années 90) leur permet de maintenir la librairie à flots.

Vitrine LDB Entrée LDB
Images de la Librairie des Bauges

Kurt Nagel rachète la librairie en 2000. En août 2017, au vu de sa situation financière et pour éviter sa fermeture, je reprends la Librairie des Bauges pour un euro symbolique. Kurt m'accompagne pendant le processus, il m'aide à franchir les bonnes portes, à m'adresser aux bonnes personnes. Il a tout fait pour que la librairie continue de fonctionner. On décide de maintenir la même société et le même nom afin de faire le moins de vague possible, de maintenir les remises, et vis-à-vis aussi de la clientèle. Cette librairie a une notoriété immense, tous les gens qui vivent ici ont grandi avec elle et ont, à un moment ou un autre, acheté leurs livres scolaires ici. Avec l'Accrolivres, l'autre librairie à Albertville, nous sommes les seules librairies au cœur des quatre vallées qui drainent une zone de chalandise de près de 80 km. Nous sommes dans la première ville de taille moyenne dans laquelle les gens vont en descendant des montagnes.

Aujourd'hui, on assure toutes les demandes de livres, quelles qu'elles soient et on ne refuse aucun partenariat, même hors les murs. On est sur tous les fronts et mon pari est d'inciter les gens à vouloir s'impliquer davantage dans le tissu commercial local car La vie associative à Albertville est riche. Un mouvement dynamique s'est enclenché au niveau territorial et nous sommes très soutenus par les institutions locales, mais cela demande une énergie folle.

Votre offre est diversifiée, pourquoi avoir fait ce choix ?

J'ai envie d'imaginer la librairie de demain, sans prétention aucune. Il était très risqué de se reposer uniquement sur le livre et ses faibles marges pour réussir à sortir la librairie de l'ornière ; vendre du livre seul ne fonctionne pas ici. Pour faire revenir les gens, il faut les séduire avec autre chose. J'aime beaucoup le concept de librairie-café en montagne où la librairie devient un lieu de vie, prescripteur d'idées, stimulateur de réflexion et qui peut se concrétiser ensuite par un achat de livre. On a créé une multitude de petits services qui n'existaient pas et qui font rentrer les gens dans la librairie comme des services d'impression, la possibilité de boire un thé ou un café, partager un repas ou un événement organisé. Les sessions mensuelles de « yoga lecture » pour les enfants pas exemple remportent un grand succès et sont systématiquement complètes. L'animatrice choisit avec Caroline, la libraire jeunesse, un album et le samedi matin, elle raconte l'histoire et l'anime en postures. Pendant que l'enfant est à l'atelier, les parents peuvent en profiter pour boire un verre sur place ou acheter des livres au rayon jeunesse. L'idée fonctionne et il s'agit de personnes qui ne seraient pas venues sans le truchement de cet atelier.

Pourquoi avoir récemment engagé dans des travaux d’agrandissement et de rénovation ?

Quand je reprends en 2017, la librairie n'a pas été refaite depuis le début des années 90. Il y fait très sombre, il n'y a pas de lumière naturelle et d'importants travaux sont nécessaires. Je souhaite également revoir l'ensemble de l'agencement, la signalétique. Je décide de tout changer. Entre septembre et février 2018 on prépare les travaux ; début février, le local est mis à nu, il ne reste que les murs, puis s’enchaînent 6 semaines intenses de travaux. Pendant ce temps, la librairie reste ouverte dans l'ancienne réserve, ex-entrepôt de papeterie, et accessible par l'arrière du magasin. L'installation y est plus que sommaire. On rouvre début avril. Le rythme était dément ! Pierre-Yves Gimenez, l'architecte conducteur de travaux, a été exceptionnel.

On a réagencé le magasin de manière à le rendre plus fluide grâce notamment à Claire Mortier de l'Adelc qui nous a bien aidée sur ce point. Avec Pierre-Yves Gimenez, l'architecte , le moindre détail a été pensé quant aux tables, aux meubles qui contiendraient les livres et autres articles ; le corner de papeterie permet par exemple d'intégrer judicieusement et esthétiquement les produits dans les meubles.

Face à la demande, on a créé un rayon écologie, renforcé par les animations autour de cette thématique qui parle beaucoup aux gens de notre territoire. On a étoffé la BD avec 8 mètres de linéaire en facing, et nous avons créé un rayon mixte, qui fonctionne très bien, associant matériels et livres beaux-arts, pour lequel nous avons fait le choix engagé de ne travailler qu'avec un seul fournisseur, dont les produits sont fabriqués en France.

Vous nous en dites un peu plus sur le Garage de la librairie ?

J'ai eu immédiatement l'envie de créer un lieu qui rassemble les gens, qui donne envie de comprendre et de créer une dynamique différente. Je ne savais pas quelle forme lui donner au début, j'avais en tête un café-librairie que j'aime bien en Bretagne, ainsi qu'un lieu découvert à Lisbonne et qui abritait un club de jazz. À Albertville, il n'y a qu'une grande salle de spectacle de 800 places et rien d'autre ; le centre-ville est véritablement en train de péricliter d'autant plus avec la concurrence d'un grand centre commercial à 3 min du centre. On a décidé de rester ouvert entre 12h et 14h en proposant une offre de bar/restauration et cette équation fonctionne. Très peu de commerces sont ouverts en centre-ville, les gens prenaient donc leur voiture pour sortir de la ville et aller déjeuner dans la galerie du centre commercial. Ce mouvement commence à s'inverser, une dynamique s'est mise en route avec les commerçants alentour qui ont décidé de jouer également le jeu.

Progressivement, après la restauration, on s'est orienté vers des moments de musique, des conférences. Je ne voulais pas d'un espace formel, mais un lieu convivial dans lequel les gens puissent se détendre, fait de bric et de broc, avec des nappes à carreaux, comme si on allait « chez mémé » en quelque sorte. On peut aborder des thèmes très sérieux sans avoir une configuration classique de l'espace. C'est au croisement entre le cabaret et la cuisine de chez mémé où ce qui compte n'est pas la forme, mais le chocolat chaud et la super bonne tartine avec trois fois plus de beurre que chez soi. C'est pour ça qu'on a choisi d'être là, pour être dans quelque chose d'authentique, de sincère, d'aller à la rencontre des autres tout en ouvrant les perspectives. Notre programmation est à cette image, on fait des choix engagés et qui nous plaisent. Pour la musique, cela va du baroque au rock métal en passant par le jazz, il y a également des conférences, des ateliers, des projections, quelques signatures, mais cela reste difficile de faire venir des auteurs à Albertville.

Resto LDB Concert
Images du Garage

Et le tuk-tuk à pédales... ?

On essaie d'être le plus local possible en travaillant avec des fournisseurs et producteurs locaux. On trouvait ça stupide de livrer en voiture tout le centre d'Albertville, par ailleurs la ville s'est engagée dans d'énormes travaux d'aménagement avec toute une réflexion autour des modes de déplacement doux. Nous avions un vieux « tuk tuk » que l'on partageait avec l'association Roues libres militant pour ce type de déplacements. Ils nous permettaient de livrer les sept écoles d'Albertville, les médiathèques, et nos clients entreprises pour la papeterie. Il est tombé en panne et la réparation coûtant bien trop cher, il s'agissait d'un prototype, il nous fallait donc acquérir un nouveau triporteur, plus efficace et qui nous permettrait d'aller un peu plus loin. Nous avons lancé une campagne participative qui va nous permettre d'en acheter un nouveau !

Comment avez-vous communiqué sur ce changement ?

On n'a pas communiqué. Les clients sont revenus et se sont immédiatement approprié le changement en nous disant « vous avez refait ma librairie !? ». Cela nous a beaucoup touché. En revanche, nous avons changé toute la charte graphique : un nouveau logo pour lequel on a demandé aux clients, aux associés, aux salariés de voter lors d'une soirée dédiée et de choisir leur préféré. Le Garage nous a contraint également à créer un site internet sur mesure pour gérer l'afflux de demandes de réservations. Cela a représenté un coût très important, mais je n'ai pas eu le choix. Lancé en novembre 2018, il est notre principal vecteur de communication et il nous sauve véritablement la vie pour la gestion du Garage !

Avez-vous bénéficié d'aides et si oui lesquelles ?

Oui, et elles ont été nombreuses. Une aide de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes pour l'informatisation dans un premier temps avant que je fasse tous mes travaux et c'était vital. Pour le gros des travaux, j'ai bénéficié des soutiens de l'ADELC et du CNL. J'ai également eu l'accompagnement et un prêt d'honneur d'Altex (Albertville Tarentaise Expansion), une agence de développement économique local intégrée aujourd'hui dans l'Agence Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises Savoie.

A quelles difficultés vous êtes-vous confronté lors de la mise en œuvre de votre projet ?

Les travaux de voirie devant le magasin, avec un trou de 10 mètres de diamètre et de 4 mètres de profondeur ! Cela a duré un an... Les gens étaient obligés de faire un énorme détour pour accéder à l'entrée alors qu'ils étaient garés à quelques mètres seulement. Mon chiffre d'affaires en a fortement pâti cette année. La question des ressources humaines a également été épineuse et compliquée à gérer ; progressivement, et à l'exception de deux salariées, l'équipe s'est entièrement renouvelée. Je bénéficiais, en tant que demandeur d'emploi, de L'ACRE (Aide aux créateurs et repreneurs d'entreprise), une aide précieuse pour assurer la transition, et qui vient de se terminer il y a peu.

Quel bilan faites-vous quelques mois plus tard, quels sont les retours et l'accueil de la clientèle ?

Le bilan est plutôt positif. Les représentants jouent tous le jeu et viennent nous voir en magasin. La dynamique est enclenchée et la clientèle depuis le départ est contente et s'approprie la transformation de la librairie, la mairie par ailleurs nous implique dans plusieurs projets. On a impulsé un mouvement en créant deux soirées par semaine au Garage et notre programmation est bouclée jusqu'à décembre. Cela a motivé d'autres commerces alentour, donc c'est plutôt vertueux, et cela permet une certaine revitalisation du centre-ville. Les gens ont identifié le fait qu'il recommençait à s'y passer des choses et ils y reviennent.

Comment voyez-vous évoluer le métier de libraire dans les années qui viennent ?

Aujourd'hui, dans les zones plus isolées comme la nôtre, si je veux un livre, j'ai plusieurs possibilités qui s'offrent à moi. Je le commande en ligne chez un géant de la vente à la distance qui me le promet sous moins de 24h, ou je décide de passer par mon libraire chez qui le délai d'attente peut excéder 3 jours. Il est essentiel de remettre l'humain au cœur de la librairie. Nous sommes des commerçants qui vendent des produits culturels et à ce titre, nous devons avoir conscience de notre impact sur notre ville et notre territoire. Nous nous devons d'assurer notre mission de diffuseur de livres, en n'ayant aucune limite et en proposant tout.

Qu’est-ce que représente aujourd’hui pour vous le fait d’être libraire indépendant ?

La réponse en images de Thomas Berrond en cliquant ICI.


Propos recueillis par Chez Mon Libraire- juillet 2019.

Librairie des Bauges
Année de reprise : 2017
Surface : 200 m2
Stock moyen : 15 000 réferences
Nombre de salariés : 7 dont 2 apprentis